L'Express du 05/03/2002

Voyage au centre de la Terre par Claude Allgre

Aujourd'hui, grce au systme Archimde, les hros de Jules Verne n'auraient pas besoin de pntrer dans un cratre pour explorer le coeur de notre plante. Une visite dans un laboratoire suffirait

Lorsque Jules Verne voulut nous entraner dans un voyage au centre de la Terre, il choisit un volcan comme porte d'entre. Choix raisonnable, en effet, puisque les volcans apportent la surface les roches des profondeurs qui fondent en chemin et se transforment en magma. A la suite de l'ineffable Professeur Lidenbrock, nous nous sommes donc enfoncs dans les entrailles de la Terre en empruntant le cratre du Sneffels. Aprs bien des pripties, des motions, des accidents, des incidents, nous sommes remonts la surface par l'intermdiaire des chemines du Stromboli, en Italie.

Si intressant et imaginatif que ft ce voyage, nous tions, pourtant, bien loin du centre de la Terre! Nous nous tions enfoncs au mieux de 100 kilomtres, alors que le centre de notre plante est situ 6 400 kilomtres sous nos pieds! Nanmoins, l'ambition de Jules Verne est reste vivante, et les scientifiques ont toujours voulu savoir ce qui se cachait dans les profondeurs terrestres.

Pendant longtemps, cette connaissance a t indirecte. Nos informations provenaient de la manire dont les ondes sismiques mises lors d'un tremblement de terre se propageaient en traversant les profondeurs terrestres. En somme, nous explorions la Terre comme on explore le corps humain en le faisant traverser par des ultrasons pour raliser une chographie.

Invente en 1904 par le Britannique Thomas Oldham, chef du service gologique des Indes, cette mthode nous a permis de faire de grands progrs. Ainsi sait-on que, sous la crote terrestre, il n'y a pas un magma fondu, un ocan de laves, comme le laisse entendre la croyance populaire, mais un solide trs dur, compos de silicium, d'oxygne et de magnsium.On sait galement qu' 2 900 kilomtres de profondeur commence le noyau. Form de fer mtallique, il est fondu autour d'un noyau solide que l'on appelle la graine. Depuis peu, avec des ordinateurs, on a prcis cette structure grce de vritables images des profondeurs terrestres.

Malgr des progrs extraordinaires, toutes ces informations taient indirectes. Aprs la Seconde Guerre mondiale, les scientifiques ont voulu reproduire en laboratoire les conditions qui rgnaient dans les profondeurs terrestres: on pourrait ainsi tudier directement ces matriaux, connatre leurs proprits et calibrer les mesures indirectes. Mais reproduire en laboratoire l'intrieur du globe ncessite la matrise la fois des trs hautes tempratures et des trs hautes pressions. Car, lorsqu'on s'enfonce dans la Terre, la temprature augmente (on la mesure rapidement en milliers de degrs) ainsi que la pression (on la mesure en milliers d'atmosphres). Il faut donc trouver des matriaux qui rsistent la temprature et la pression, autrement dit, des super-Cocotte-Minute. Et aussi des mthodes adquates pour tablir les mesures dans ces milieux chauds et surpresss.

Les problmes techniques sur les 500 premiers kilomtres furent rsolus dans les annes 1960. On a pu alors amliorer l'interprtation des rsultats obtenus l'aide des ondes sismiques et comprendre exactement comment se forment les magmas par chute de pression des matriaux composs de silicium, d'oxygne et de magnsium.

Comment aller plus loin? Comment recrer les conditions du centre de la Terre, o le fer en fusion est port plus de 5 000 C et soumis des pressions de 5 millions d'atmosphres? Si extraordinaire que cela paraisse, c'est aujourd'hui chose faite grce Archimde!

Archimde disait: "Donnez-moi un levier, et je soulverai le monde", illustrant l'amplification de force que fournit le bras de levier. A cela s'ajoute le fait que la pression est une force par unit de surface: lorsqu'une force agit sur un objet aplati en haut et qui se termine en pointe, on augmente considrablement la pression la base de la pointe. C'est le principe de la punaise.

Archimde inventa aussi la vis sans fin. Mettons tout cela ensemble: une enclume faible base, prise en tenaille entre 2 leviers, eux-mmes mis en mouvement par une vis sans fin, et l'on obtient entre les mchoires de l'enclume des pressions gigantesques. Quant la temprature, on l'obtient grce un laser de puissance qui chauffe le petit chantillon prisonnier dans l'enclume. Enfin, on recourt au diamant, seul matriau qui rsiste cette pression et cette temprature, et laisse passer le rayon laser chauffant. A l'aide des enclumes diamant et d'un chauffage laser, on reproduit donc, en laboratoire, les conditions qui rgnent au centre de la Terre.

Ainsi, rcemment, une quipe franaise a-t-elle pu mesurer, dans les conditions du "feu central", la vitesse avec laquelle se propagent les ondes sismiques. Ainsi ont t valides et prcises les mesures indirectes.

Aujourd'hui, le Professeur Lidenbrock n'aurait pas besoin d'aller en Islande. Il pourrait "voyager" au centre de la Terre en se rendant tout simplement dans un laboratoire.

 

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